L’eau en japonais

En apprenant une langue étrangère, on s’attend généralement à rencontrer des problèmes sur des points grammaire complexes ou du vocabulaire avancé. Mais on s’attend rarement à ce qu’il y ait des pièges sur un concept aussi basique que l’eau.
Puis on découvre le japonais. Et là, c’est le drame.

« Alors comment dit-on eau en japonais ? »
Le mot de base est mizu. En apprenant cela on pense donc naïvement qu’à chaque fois qu’on voudra parler d’eau en japonais il suffira de balancer mizu et pif le tour sera joué. Hélas, la réalité est tout autre.

« Alors, c’est quoi le problème ? »
En apprenant l’anglais, après avoir appris que water voulait dire eau, que hot voulait dire chaud et que cold voulait dire froid, lorsque vous voulez dire eau froide ou eau chaude il vous suffit de dire hot water ou cold water et l’affaire est dans le sac. Du coup, en apprenant qu’en japonais froid se dit samui et que chaud se dit atsui, on pourrait penser qu’eau chaude va se dire atsui mizu et qu’eau froide va se dire samui mizu. Mais ça ne marche pas. Et je dirai même plus, ça ne marche pas au carré.

« Pourquoi ? »
D’abord, l’eau étant un cas particulier, on va prendre l’exemple d’un autre liquide : la soupe. Son petit nom en japonais est supu (oui c’est le mot anglais avec la prononciation japonaise). Le problème est qu’en japonais il existe deux adjectifs différents pour décrire le froid : samui pour parler de la sensation de froid (par exemple dans « j’ai froid ») et tsumetai pour parler de la froideur d’un objet ou d’un liquide. Ainsi une soupe froide ne se dira pas samui supu mais tsumetai supu. Pour ce qui est du chaud, il y a aussi deux adjectifs qui suivent le même concept, sauf qu’ils ont la même prononciation. Donc à l’oral pas besoin de faire attention, ce sera toujours atsui (par exemple atsui supu), mais à l’écrit on utilisera deux caractères différent.

« Ah j’ai compris ! donc pour dire eau froide on dira tsumetai mizu, c’est bien ça ? »
Non. Parce que comme je le disais, l’eau est une exception. Ainsi en japonais il existe un mot particulier pour désigner l’eau chaude : oyu. Et ce pour n’importe quelle eau chaude, que ce soit l’eau que vous versez dans votre tasse de thé ou l’eau chaude avec laquelle vous vous lavez. On ne peut donc pas utiliser l’expression atsui mizu (évidemment je pense qu’un japonais comprendrait quand même de quoi on parle, mais ça sonne bizarre*).

« Mais du coup, pour tsumetai mizu ça marche quand même non ? »
Oui et non, parce que comme oyu désgine l’eau chaude, le mot mizu implique donc que l’eau est froide. Du coup on utilisera le mot tsumetai uniquement si l’interlocuteur sait déjà que l’eau est froide, mais qu’elle est plus froide que prévu et/ou que l’on veut insister sur le côté froid/frais.
Concrètement, si par exemple vous plongez dans une piscine et que l’eau est froide, vous pouvez dire qu’elle est tsumetai pour insister sur le fait qu’elle est vraiment froide, même si à la base on ne s’attendait pas à ce qu’elle soit particulièrement chaude.
Par contre, lorsque l’on s’attend à ce que l’eau soit chaude (c’est-à-dire à ce que ce soit de l’oyu), le simple mot mizu suffira à faire comprendre que l’eau est froide et l’on n’a donc pas besoin de remettre le tsumetai (sauf si on veut vraiment insister sur le côté très froid). Par exemple, un jour j’expliquais à une collègue que, venant d’emménager, je n’avais pas encore d’eau chaude. Elle m’a donc demandé si j’allais me laver avec de la mizu. J’ai failli lui répondre « non non, je vais me laver à l’urine, ça a l’air fun », puis j’ai compris (en fait c’est le moment où j’ai eu le déclic) que mizu en japonais impliquait toujours que l’eau est froide. En fait je pense même qu’à cause de la langue, dans la tête des japonais l’eau froide et l’eau chaude sont deux choses différentes, et non deux états différents d’une même chose comme nous francophones le pensons.**

« Bon cette fois j’ai bien compris, quand je prends mon bain j’utilise de l’oyu, et quand je demande un verre d’eau dans un restaurant je dois demander de la mizu, c’est bien ça ? »
C’est un peu plus subtil. Pour le bain oui, mais pas pour le verre d’eau. Enfin si vous demandez de la mizu dans un restaurant on vous comprendra et c’est correct, mais si jamais vous êtes un jour serveur au Japon il vous faudra un vocabulaire qui va au-delà de la mizu.
Premièrement, il existe un mot pour désigner l’eau qu’on boit : ohiya. Donc si vous allez manger des ramens rue Sainte-Anne et que vous voulez faire celui/celle qui parle bien japonais, demandez de l’ohiya plutôt que la mizu, ça fait toujours son petit effet. Cela nous fait déjà deux mots différents pour demander de l’eau.
Ensuite, dans certains restaurants d’un certain standing, il existe encore un autre mot. Allez savoir pourquoi, les bourgeois japonais ont dû trouver que demander de la vulgaire ohiya faisait trop prolétaire et ont donc décidé d’utiliser encore un autre mot. Malheureusement, comme ils étaient à court d’idées ce jour-là, ils ont décidé de prendre un mot anglais, de japoniser la prononciation et ont pondu cheisa. Sauf que chaser en anglais américain est un mot qui désigne une boisson peu alcoolisée prise après (ou en même temps que) une boisson forte (type whisky), pour éviter d’avoir la gorge qui pique trop. Et c’est ce mot là qu’ils ont repris pour parler de l’eau. Alors si en anglais, dans l’absolu, rien n’empêche que votre chaser soit de l’eau, il est quand même censée accompagner une boisson d’homme tel un bon whisky. Du coup quand je vois un japonais demander un chaser à côté de son verre de jus d’orange je trouve cela assez cocasse.

Note aux apprenants : ce mot étant essentiellement employé par les plus de 30 ans assez aisés, il est tout à fait possible (voire même très probable) que votre correspondante japonaise de 17 ans ne le connaisse pas (mais non je n’ai pas inventé cette partie pour faire le guignol).

Voilà, maintenant vous savez tout sur l’eau japonaise !

Bonus :
« J’ai entendu dire que dans les cafés au Japon, les thés et les cafés sont toujours disponibles en version chaude et froide. Du coup si par exemple je veux un expresso chaud je dois dire atsui ekusupuresso, c’est bien ça ? »
Encore une fois non, parce que dans le cas particulier des cafés et des thés les japonais utilisent le mot anglais. Au début je pensais que c’était parce que le café est une boisson occidentale, mais ça n’explique pas pourquoi ils utilisent le mot anglais pour le thé, comme par exemple pour le thé oolong, qui est originaire de Chine. Bref, un expresso chaud c’est hotto ekusupuresso. Et pour ceux qui savent qu’en japonais on met la particule na entre l’adjectif et le nom, dans ce cas on ne la met pas car l’expression est considérée comme étant reprise de l’anglais dans son ensemble.
« Bon et du coup un expresso froid c’est koludo ekusupuresso ? Là je peux pas me tromper ! »
Non (cette fois c’est le dernier non de l’article). Parce que pour un café froid on ne dit pas koludo (cold) mais aisu (ice), comme en anglais. Donc un expresso froid se dira aisu ekusupuresso.

Bonus 2 : Il existe le même type de différence pour le riz. Le riz cru se dit komé et le riz cuit gohan (ou parfois raisu). Là aussi je pense que dans la tête des japonais il s’agit de deux choses bien distinctes. Du coup si vous demandez à un japonais s’il a mangé du komé ce midi il va vous regarder bizarrement.

Notes :
*Est-ce que ça sonnerait si bizarre de dire atsui mizu ?
Oui. Je vais vous donner un exemple d’une chose où la langue française utilise deux mots différents alors qu’il n’y en a qu’un dans les autres langues (du moins en anglais, japonais et coréen) : les glaçons. En anglais, japonais et coréen, pour parler des glaçons on dit tout simplement glace. Du coup si un étranger vous dit « est-ce que tu peux mettre de la glace dans mon coca ? », vous comprendrez mais ça sonne étrange. C’est le même concept pour atsui mizu.

**Mais scientifiquement l’eau est bien un seul et unique élément, donc on a bien raison de penser que l’eau froide et l’eau chaude sont deux états différents d’une même chose. Ils sont bizarres ces japonais.
Non (cette fois c’est vraiment le dernier !) . De manière concrète, quand on y pense, on n’utilise pas du tout l’eau froide et l’eau chaude pour les mêmes choses : on en fait deux utilisations différentes, donc il n’est pas stupide de les considérer comme deux choses différentes. On pourrait très bien imaginer une langue dans laquelle table se dirait « morceau de bois pour écrire » et chaise « morceau de bois pour s’asseoir », et dont un locuteur natif vous dirait que vous êtes stupide d’avoir deux mots différents pour parler d’une table et d’une chaise alors qu’elles sont faites dans la même matière et donc que ce sont deux états différents d’une même chose. Bref, il ne s’agit là que d’une question de point de vue. Il n’y a pas une langue qui a raison et l’autre qui a tort.

Cet article a entièrement été écrit par moi-même, sur la base de mes connaissances. Toute reproduction totale ou partielle est formellement interdite.

Pierre

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