Les particules wa et ga en japonais

L’un des concepts intéressant de la langue japonaise est la présence de particules qui servent à identifier la fonction des mots. Il y a par exemple une particule qui indique le COD, une particule qui indique un déplacement, etc. Certaines des particules ont plus ou moins des équivalents en français : par exemple la particule de déplacement ni est globalement similaire à la particule à en français. Cependant ce n’est pas le cas de toutes, et ce sont évidemment les particules qui n’existent pas en français qui m’intéressent le plus. Nous allons parler ici de deux d’entre elles, à savoir wa et ga. Ce sont deux particules qui servent toutes les deux à déterminer le sujet, mais avec un nuance différente. Pour vous donner une idée de la complexité d’expliquer cette nuance, il faut savoir que certaines personnes écrivent des thèses entières sur ces particules. Le but ici ne va donc évidemment pas être de traiter de tous les cas d’utilisation possible de ces particules, mais d’expliquer le concept général. Ce sont des particules qui pour moi ont un certain nombre de points communs avec le et un dans la langue française : on les utilise en permanencemais elles sont très difficiles à utiliser de manière complètement naturelle pour les non natifs. Elles ont aussi ce point commun que les natifs, bien que sachant spontanément quand utiliser laquelle, sont généralement incapables de donner une explication convaincante. Vous pouvez faire le test, vous serez incapable de trouver une règle sur l’utilisation de un et le à laquelle vous ne trouverez pas de contre-exemple dans la minute (même si évidemment vous voyez bien le concept général qu’il y a derrière). Ce sont donc des particules dont il faut apprendre le concept, et ensuite les utiliser des milliers de fois pour parvenir à une utilisation complètement naturelle.

I – Le concept de “base”

Bref, rentrons dans le vif du sujet : à quoi peuvent bien servir ces deux charmantes particules ? Lorsque l’on commence l’apprentissage du japonais, on nous apprend que wa est la particule du sujet. Ainsi dans la phrase “watashi wa pierre desu”, wa est bien après le sujet (je). Or vous allez vite vous rendre compte que la particule wa peut être utilisée après des mots qui ne sont pas sujets. Par exemple dans la phrase « kyou wa ikanai » (kyou = aujourd’hui, ikanai = ne pas aller), on devine facilement que la phrase ne signifie pas « Aujourd’hui n’y va pas » (où aujourd’hui serait le sujet du verbe aller), mais bien « Aujourd’hui, je n’y vais pas » (l’omission du sujet est très fréquente en japonais). Wa ne qualifie donc en fait pas le sujet. Dans certaines méthodes vous verrez peut-être que l’utilisation après le sujet et l’utilisation après autre chose que le sujet sont deux utilisations distinctes. Selon moi, la première est un cas particulier de la deuxième.

Voilà donc mon explication. Oublions le japonais quelques instants. Dire quelque chose, peu importe dans quelle langue, c’est partir d’une base à laquelle on ajoute une information. Cette notion de base que j’utilise étant assez conceptuelle il est assez difficile de la définir concrètement. Nous allons tout d’abord prendre l’exemple de réponse à des questions, car il est assez facile d’identifier la base dans une question. Si on me demande « Qui es-tu ? », la base c’est moi. Dans ma réponse, je vais donc partir de moi (je) et y ajouter une information (mon nom). Si on me demande « Que fais-tu aujourd’hui ? », la base est aujourd’hui. Je vais donc partir d’aujourd’hui et ajouter une information (le verbe). Si on me demande « Tu y vas quand ? », la base est le fait d’y aller, et l’information ajoutée sera la date / l’heure.

Cela a peut-être l’air simple jusqu’ici, mais attention la base n’est pas toujours évidente ni facilement identifiable. Et je dirais même plus, la base dépend de l’interprétation. Si on vous demande « Qu’est-ce tu fais? », je vois au moins deux interprétations possibles en fonction du contexte (mais il y en a probablement d’autres) :

Si vous êtes dans un groupe et que quelqu’un constate que vous ne faites pas la tâche que vous êtes supposé accomplir (par exemple ce prof qui vous voit vous crotter le nez au fond de la classe au lieu de prendre des notes), la base c’est vous (par opposition aux autres), et vous allez donc répondre en partant de la base vous.

Si par contre vous êtes tout seul dans votre coin et que quelqu’un débarque subitement et vous pose cette question, la base va plutôt être le contexte, c’est-à-dire le lieu et le moment (par opposition à ce que vous faites à d’autres moments à d’autres endroits). D’ailleurs spontanément vous risquez de répondre « Là, je … ». Ce « là » est la référence à cette base. La base est donc un concept que nous utilisons tous les jours sans nous en rendre compte. La langue japonaise permet cependant d’identifier ce concept plus facilement. C’est pour cela qu’il est très intéressant d’apprendre des langues étrangères.

II – La particule wa

Comme vous vous en doutez probablement, la particule wa sert en fait à définir cette base. Reprenons donc tous mes exemples :
« Qui es-tu ? » => « watashi wa pierre desu »
Nous sommes dans le cas particulier où la particule wa définit le sujet. Cela marche car ici le sujet est la base. Attention si le sujet n’est pas la base on utilisera une autre particule (le ga dont j’ai parlé au-dessus, sur lequel nous reviendrons plus tard).

« Que fais-tu aujourd’hui ? » => « Kyou wa hon wo yomu »
(hon wo yomu = lire un livre)
Ici la base est aujourd’hui. Je réponds donc kyou + wa + ce que je fais / vais faire aujourd’hui. Kyou n’est donc évidemment pas le sujet de la phrase.

Imaginons maintenant un contexte où l’on veut faire le ménage en famille. « Qu’est-ce tu fais?/Qu’est-ce que tu vas faire » => « watashi wa soujiki wo kakeru » (soujiki wo kakeru = passer l’aspirateur). Ici la question signifie « Dans le cadre du ménage, quelle tâche vas tu accomplir ? ». La base est donc là encore moi, d’où l’utilisation du wa après le sujet.

Cette particule wa permet aussi de construire la question « et toi? » que l’on pose lorsque l’on veut retourner sa question à l’interlocuteur. Ainsi il suffit de dire “anata wa ?” ou encore “[prénom]san wa ?”
Par exemple :
« Ogenki desuka ?
-Genki desu. Anata wa ? »
Qui se traduit par :
« Comment vas-tu ?
-Je vais bien. Et toi ? »
Cette deuxième partie “et toi ?” signifie en fait que l’on garde la même question mais en changeant la base, c’est-à-dire on change la personne sur laquelle la question est posée.

III – La particule ga

Bon j’espère que ce concept de base est clair, parce que maintenant nous allons nous attaquer à la différence avec la particule ga.
Si wa est placé après le sujet lorsque celui-ci constitue la base, vous vous doutez donc que ga s’utilise lorsque le sujet n’est pas la base. Il existe notamment deux structures de phrase très utilisées où le sujet n’est pas la base, la première étant les propositions subordonnées et la deuxième les formes de type discours rapporté (c’est-à-dire « il dit que … », « il pense que… », etc).

Pour les propositions subordonnées, le concept est très simple : si vous dites « la pomme que je mange est bonne », la base est évidemment la pomme, et le « je » ne sert qu’à donner des informations supplémentaires sur la pomme. On dira donc « watashi ga tabete iru ringo wa oishii » ( tabete iru = être en train de manger, ringo = pomme, oishii = bon). Je ne vais pas m’attarder sur la construction des propositions subordonnées en japonais, mais retenons juste que le sujet à l’intérieur d’une proposition subordonnée n’est jamais suivi de wa (et là pour une fois c’est un jamais avec absolument aucune exception). On utilise toujours ga (ou no, mais c’est encore une autre histoire).

Parlons maintenant du discours rapporté. Je vais poursuivre ici avec l’exemple du verbe dire, mais cela fonctionne de manière similaire avec le verbe penser.
Prenons l’exemple de la phrase « il dit que tu y vas » comme réponse à la question « qu’est-ce qu’il dit ? ». Ici la base est il. On aura donc dans la phrase japonaise karé wa (karé = il). Cependant on remarque que tu est le sujet d’une proposition, mais qu’il n’est pas la base. En fait c’est la base de la proposition, mais pas de la phrase. Et en japonais on évite d’avoir plusieurs fois la particule wa dans une phrase (sauf dans le cas de quelques expressions particulières comme jitsu wa, mais là encore on n’en parlera pas ici). Bref c’est donc là que nous allons pouvoir utiliser la particule ga et construire la phrase « karé wa anata ga iku to iu » (“il dit que tu y vas”).

IV – Les subtilités

Il est important de bien garder en tête cette différence entre ga et wa pour comprendre la nuance dans certaines phrases. Prenons l’exemple de “koré wa pen desu” et “koré ga pen desu” (koré = ça, pen = stylo; les plus perspicaces d’entre vous auront ici noté l’empreint à la langue de Shakespeare). Si l’on se base simplement sur le fait que wa et ga sont toutes les deux des particules du sujet sans chercher plus loin, on en conclut que ces deux phrases ont le même sens. De la même manière qu’un japonais qui aurait appris sans chercher plus loin qu’en français un et le se mettent tous les deux devant un nom se dirait que les phrases « j’ai vu le chien dans le jardin » et « j’ai vu un chien dans le jardin » ont le même sens. Or il y a quand même une nuance non négligeable, qui n’est pas évidente à première vue mais qui dans un contexte fait une grosse différence. « J’ai vu le chien dans le jardin » implique que l’on sait que vous avez un chien, et que l’on a vu ledit chien dans le jardin. Alors que « j’ai vu un chien dans le jardin » signifie que j’ai vu un chien inconnu dans le jardin, un chien dont je ne m’attendais pas à la présence.
Donc quelle est est la différence entre “koré wa pen desu” et “koré ga pen desu” ?

Pour répondre simplement je dirais que la première répond à la question « qu’est-ce que c’est ? » et la deuxième à la question « qu’est-ce qu’un stylo ? ».

Dans le premier cas, on part de la base koré (ça) et on va y ajouter des informations. On a donc logiquement la particule wa.

Le deuxième cas est plus subtile. Certains d’entre vous se disent peut-être : « Dans la deuxième question, on devrait partir de la base stylo et arriver à la phrase « pen wa koré desu », alors pourquoi « koré ga pen desu ? » « . Si vous avez pensé cela, tout d’abord merci d’avoir suivi jusqu’ici, et ensuite, oui, vous avez raison. C’est en effet une réponse parfaitement acceptable, et les deux phrases ont un sens quasiment équivalent. Il y a cependant une très légère nuance ; « pen wa koré desu » insiste sur ce qu’est un stylo, et « koré ga pen desu » insiste sur l’objet que l’on est en train de montrer.

Pour clarifier les explications, je vais rediviser la question en deux : je peux demander « parmi ces objets, lequel est un stylo ? » ou demander « qu’est-ce qu’un stylo ? » en tant que concept général (un peu comme un philosophe demanderait « qu’est-ce que le bonheur ? »). « Koré ga pen desu » répond donc à la première question, et « pen wa koré desu » à la deuxième. Attention on est ici dans des nuances assez subtiles, naturellement les deux réponses sont acceptables comme réponse à chacune des questions. Pour vous donner un équivalent en français, je dirais que « koré ga pen desu » = « c’est ça, un stylo » ; et « pen wa koré desu » = « un stylo, c’est ça ». Donc oui on est sur du chipotage. A noter que pour expliquer ce qu’est un stylo en tant que concept général on peut aussi utiliser une structure plus complexe du type « pen to iu no wa … », que l’on pourrait plus ou moins traduire par « ce qu’on appelle un stylo, c’est … « .

Sur le même modèle, en reprenant mon exemple de l’aspirateur plus haut, on a vu que « watashi wa soujiki wo kakeru » signifiait « je vais passer l’aspirateur », comme réponse à la la question « Que vas tu faire? ». Cependant la phrase « watashi ga soujiki wo kakeru » est correcte aussi. La nuance ici est que la base de la phrase n’est plus moi, mais le fait de passer l’aspirateur. Du coup cette phrase répond à la question « Qui va s’occuper de passer l’aspirateur ? »

J’en profite pour éclaircir un point. Certains d’entre vous se disent peut-être : « Si la base est le fait de passer l’aspirateur, pourquoi ne vois-je point de particule wa après le verbe ? Ne devrait-on pas dire « watashi ga soujiki wo kakeru wa » ? »

La réponse est non, on ne met absolument jamais de particule wa directement après le verbe. Alors comment sait-on que c’est le verbe / l’expression verbale qui est la base ? On le sait tout simplement grâce au fait qu’il n’y a pas de particule wa dans la phrase, et que du coup c’est le verbe qui se retrouve base par défaut. Attention cependant : il ne faut pas en conclure que toute phrase sans particule wa a pour base le verbe (loin de là !), car en japonais on omet très souvent le sujet, c’est-à-dire ladite base. Ainsi si on vous demande si vous avez vu le dernier Harry Potter et que vous répondez « mita » (verbe voir au passé), la base n’est pas le verbe mais bien vous, même si vous n’avez pas redit je. Ceci dit si l’on veut insister sur le fait que le verbe est la base de notre phrase, on peut utiliser une structure plus complexe, en nominalisant le verbe grâce à la particule no, ce qui permet de rajouter wa derrière. Ainsi si votre petit frère relou vous pique l’aspirateur pendant que vous étiez en train d’attraper un Pikachu sorti de derrière le canapé sur Pokémon Go, vous pouvez lui balancer un « soujiki wo kakeru no wa ore ga suru ! », qui siginifie « C’est MOI qui passe l’aspirateur ». Mais c’est une structure assez lourde et donc peu utilisée.

V – Conclusion

Voilà, j’espère qu’avec ces explications vous aurez compris les concepts généraux qui se cachent derrière wa et ga. Bien évidemment ces explications ne sont pas exhaustives, et il y a plein d’exemples et de cas de figure que je n’ai pas pu évoquer ici. Je voudrais aussi préciser que les explications sont mon point de vue personnel; il y a plein d’autres façons d’expliquer la différence entre wa et ga.

Vous comprenez ici l’une des raisons qui fait que la langue japonaise est particulièrement compliquée à traduire en anglais / français, car des fois un seul petit ga à la place d’un wa peut changer toute la nuance d’une phrase et requérir tout une périphrase en français pour arriver à la même nuance.

Pour vous citer un exemple : dans un drama un couple de personnes âgées vient se recueillir sur la tombe de leur fille. Ils voient alors qu’une tierce personne est venue, qui ne connaissait pas leur fille et qui n’a rien à faire là. Le mari dit alors « nandé kimi ga ? » (nandé = pourquoi, kimi = tu). Ici la base est donc le verbe implicite, à savoir se recueillir. Ce qui le dérange n’est donc pas le fait que quelqu’un vienne se recueillir, mais le fait que ce soit la personne en question qui le fasse. On pourrait traduire cela littéralement par « Pourquoi vous? », mais en français ça ne sonne pas très bien dans le contexte. On peut donc s’en tirer avec une pirouette du type « Qu’est-ce que vous faites ici ? », mais du coup on s’éloigne quelque peu de la phrase originelle.

Si vous n’avez pas tout compris et/ou que vous voulez des détails supplémentaires, vous pouvez lire cet article, qui est plus précis (mais je vous préviens c’est d’un autre niveau, alors si vous avez trouvé mon article compliqué avec celui-là vous allez vous arracher les cheveux).

VI – Commentaires

1) Dans les exemples donnés ci-dessus j’ai pris des structures de phrases très scolaires. Ces phrases sont donc très peu naturelles, et j’en ai bien conscience. Premièrement parce que l’utilisation abusive de pronoms n’est pas une chose que les japonais adorent, et ensuite parce qu’à l’oral on supprime de toute façon une bonne partie des particules. Ainsi le « karé wa anata ga iku to iu » deviendrait à l’oral et dans un contexte familier « omaé ga iku tte », pour ne citer que cet exemple. Cependant je veux garder mes articles accessibles aux débutants, et comme j’essaie de me focaliser sur une certaine chose (ici, vous l’aurez compris, les particules wa et ga), je ne veux pas me lancer dans l’explication de choses périphériques qui n’apporteraient rien au sujet de cet article. Voilà pourquoi je garde des phrases simples et scolaires, même si elles sont peu naturelles (tant que l’utilisation des particules wa et ga le reste).
2) Je dis souvent « les natifs ne se rendent pas compte blablabla », mais pourtant, me direz-vous, moi je m’en suis bien rendu compte. Cela est dû au fait que je sois plus passionné par ce domaine (les langues) que la plupart des gens, ce qui m’amène à réfléchir plus sur la question qu’un locuteur natif moyen. De la même manière que quelqu’un passionné d’art pourrait m’emmener devant la Joconde et me dire « Personne ne le remarque, mais dans un coin il y a telle particularité », et ainsi m’ouvrir les yeux sur un détail que je n’avais jamais remarqué, le « personne » signifiant en réalité « la majorité des gens, qui ne s’intéressent pas particulièrement au sujet ».

Cet article a entièrement été écrit par moi-même, sur la base de mes connaissances. Toute reproduction totale ou partielle est formellement interdite.

Pierre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

13 − neuf =

Revenir en haut de page